Le pays de Bitche durant l'annexion de 1871 à 1918

Le Bitscherland, région aujourd'hui excentrée et loin des axes majeurs de communication, possède pourtant une histoire très riche, du fait de sa position stratégique, aux marches des deux grandes puissances que sont l'Allemagne et de la France. La région possède également un riche patrimoine civil et religieux. L'histoire de la ville de Bitche et du Bitscherland, véritable enjeu militaire, est indissociable de celle de leur forteresse imprenable ; elle présente des particularités qui lui sont propres.

Table des matières

  II. Notes et références                                                          
 
III. Annexes

I. Histoire

1. Années 1870

Le 31 mars 1871, c'est-à-dire une semaine seulement après le départ glorieux de ses troupes invaincues, le lieutenant-colonel Louis-Casimir Teyssier quitte à son tour la ville de Bitche, après un héroïque siège qui aura duré huit mois. Les troupes bavaroises, qui viennent à peine de s'installer sur la citadelle gravement endommagée par le long siège et par les démolitions volontaires des troupes de Teyssier, sont relevées deux jours plus tard par un bataillon du 7e Régiment d'Infanterie brandebourgois. Ce dernier restera à Bitche jusqu'au 1er avril 1897.

La Herrenstrasse, actuelle rue du Commandant-Teyssier. Le Reichsland d'Alsace-Lorraine après 1871. L'actuelle rue du Maréchal-Foch durant l'annexion allemande.

Le 10 mai 1871 est signé le traité de Francfort, cédant à l'Empire allemand l'Alsace (moins Belfort), le département de la Moselle (moins l'arrondissement de Briey), deux arrondissements de la Meurthe (ceux de Sarrebourg et de Château-Salins) et même quelques communes vosgiennes. La partie de la Lorraine cédée inclut donc l'arrondissement de Sarreguemines dont Bitche fait partie. Malgré sa longue résistance, Bitche devient donc ville du Reich. L'article 2 de ce traité stipule que « les sujets français originaires des territoires cédés, domiciliés actuellement sur ce territoire, qui entendront conserver la nationalité française, jouiront jusqu'au 1er octobre 1872 et moyennant une déclaration préalable à l'autorité compétente, de la faculté de transporter leur domicile en France et de s'y établir sans que ce droit puisse être altéré par les lois sur le service militaire, auquel cas la qualité de citoyen français leur sera maintenue. Ils seront libres de conserver leurs immeubles situés sur le territoire réuni à l'Allemagne. »

Des feuilles de déclaration d'option sont rapidement mises à la disposition de la population des territoires annexés. Cette clause ne va pas tarder à créer un climat d'effervescence dans le nouveau Reichsland, puisque 100.000 personnes environ quittent ainsi volontairement l'est de la France. Devant ce mouvement massif d'émigration, les autorités allemandes occupantes s'emploient rapidement à décourager les optants pour l'exécution des formalités. Ils ajoutent une nouvelle mention sur le formulaire fourni par l'administration, spécifiant : « Je reconnais que l'option de nationalité ne sera valable que si je fixe mon domicile en France avant le 1er octobre 1872. »

En d'autres termes, cette phrase signife que les personnes désirant demeurer françaises sont dans l'obligation de tout abandonner pour gagner la France. Les optants de la région de Bitche doivent pour leur part s'inscrire du 26 juin 1871 au 30 septembre 1872, à la sous-préfecture de Sarreguemines. Le canton de Bitche déclarera ainsi 867 optants, dont 110 seulement seront acceptés par les autorités allemandes. Ces émigrés volontaires sont accueillis en France par des associations de soutien, et certains d'entre eux s'installent même en Algérie française (1, 2, 3). À Bitche, l'occupant allemand ne va pas perdre de temps, puisque dès le 22 mai 1871, les travaux de déblaiement et de reconstruction commencent sur la citadelle et 25.158 Reichsmarks sont nécessaires à ce vaste projet. Comme il ne reste pratiquement que la chapelle plus ou moins intacte sur le sommet de la citadelle, deux bâtiments et un poste de garde y sont construits pour abriter deux compagnies militaires.

La rue Saint-Augustin et l'ancien hôpital militaire de Bitche, actuelle médiathèque. Panorama de Bitche durant l'annexion allemande. La porte de Strasbourg, du côté de la ville, durant l'annexion allemande : elle constitue l'un des seuls vestiges des fortifications de la cité, qui disparaissent sous les pics des démolisseurs après 1871.

Ces aménagements donnent le signal d'une période de très grande reconstruction, qui va redonner un souffle nouveau de vie à la ville de Bitche, encore très marquée par le siège éprouvant pour tous les habitants. Les remparts édifiés autour de la cité à partir de 1844 sont condamnés par un décret ministériel allemand à disparaître : la ville perd ainsi son caractère défensif, mais cela lui permet un développement extra muros. Les efforts de reconstruction militaire se portent principalement sur la citadelle, qui devient ainsi une nouvelle pièce de défense du Bezirk-Lothringen. Comme la France doit verser à l'Allemagne avant 1875 une somme de 5 milliards de francs comme contribution de guerre pour l'évacuation complète du territoire non annexé, l'Allemagne a d'énormes facilités financières pour augmenter ses effectifs sur la nouvelle frontière d'Alsace et de Lorraine. Le Reich en profite pour consolider les territoires annexés avec une fortification des places-fortes, afin de provoquer ce que l'Europe appelait à l'époque la Paix armée.

En octobre 1873, l'école privée protestante de la ville de Bitche est transformée en classe communale, avant d'être privatisée en 1874, quand les Schulbrüder (catholiques) abandonnent leur bâtiment. De 1874 à 1880, les élèves protestants sont ainsi scolarisés dans l'école catholique de la cité fortifiée. C'est en 1874 que les Frères des Écoles Chrétiennes, qui dirigeaient depuis longtemps l'enseignement bitchois, sont remplacés par des instituteurs laïcs nommés par l'administration impériale. En 1875, la ville de Bitche ne compte plus que 2.238 habitants, des Bitchois ayant pris le chemin de l'exil entre 1871 et 1876 par refus de se de retrouver sous l'autorité allemande. Une autre vague d'immigration va compenser la diminution de la population après le siège de 1870-1871. Attirée par les reconstructions, une nouvelle main-d'œuvre accroît la population de la ville de 2.238 habitans en 1875 à 2.908 en 1880. Il y vient surtout des fonctionnaires provenant des autres régions de l'Empire allemand.

2. Années 1880

Ces immigrants allemands vont donner un nouvel essor à la paroisse protestante bitchoise. Dépendant de Mouterhouse - vicariat fondé en 1850 par le baron de Dietrich, maître des forges, puis paroisse autonome à partir de 1887 - depuis le 5 novembre 1850, la communauté protestante est rattachée au consistoire de Sarreguemines à partir de 1876. Dès 1852, elle se réunit une fois par mois dans une salle louée en ville, et qui est endommagée par les bombardements de 1870-1871, à l'origine de la destruction d'un tiers des immeubles bitchois. Le culte protestant est alors célébré dans la chapelle de la citadelle, avec l'autorisation du ministère impérial de la Guerre et de concert avec la paroisse militaire allemande qui est assez importante. Comme des divergences ont eu lieu avec les autorités militaires, la communauté civile protestante de Bitche loue par la suite une salle en ville jusqu'à l'inauguration de l'église protestante en 1882. Le 1er mai 1880, une école protestante est créée en ville et le 19 mai 1881 a lieu une cérémonie pour la pose de la première pierre de la toute nouvelle église protestante, se situant dans la Herrenstrasse - future rue du Commandant-Teyssier - et dont l'édification se poursuivra encore jusqu'au 6 août 1882, jour de l'inauguration officielle du lieu de culte.

Les fortifications de la ville avant 1914. Panorama de la ville de Bitche en 1871. Grüss aus Bitsch : carte postale de la ville pendant l'annexion allemande.

Un monument commémoratif est érigé en automne 1888 en l'honneur de l'Empereur Guillaume Ier (1797-1888) sur la place à côté de l'église catholique Sainte-Catherine et en bordure de l'actuelle rue du Maréchal-Foch, là où se trouvait l'ancienne mairie détruite en 1870. Le buste de l'empereur allemand - qui a par ailleurs fait la grande joie aux Bitchois de venir les visiter le 5 mai 1877, tout comme le fera son petit-fils le 14 mai 1903 - voisine avec le monument de sainte Jeanne d'Arc érigé à côté de l'église catholique vers 1860 et symbolisant bien l'attachement de la cité à la France. Cette situation est bien le symbole du destin de la région de Bitche, prise entre deux grandes puissances durant toute son histoire.

Quant à la communauté juive de la ville, elle possède une salle de prières en ville depuis le 1er avril 1884. Ce n'est qu'en 1905 qu'elle bénéficie d'une petite synagogue dans la rue de Sarreguemines, à proximité de la poste actuelle. Pour accélérer la germanisation de territoires annexés en 1871, l'Allemagne interdit l'enseignement du français dans les écoles, réprimant sévèrement toute manifestation de sentiments français. La pression des fonctionnaires allemands et l'arrivée de ces immigrants se fait également ressentir à Bitche, où l'enseignement du français a été défendu.

En 1888, une « loi des passeports » installe la muraille infranchissable entre les territoires annexés et la France. Le 1er mai 1880, une nouvelle séparation a lieu entre élèves catholiques et protestans bitchois. Les écoliers israélites ont à choisir entre les écoles catholique et protestante. Les rémunérations des enseignants, logés gratuitement dans leurs écoles et bénéficiant d'un lopin de terre, sont fixées par le conseil municipal de la ville. À ce moment-là, leur salaire avoisine 800 marks avec une prime d'ancienneté de 80 marks et un avancement tous les cinq ans. En 1889, une nouvelle source est captée à un kilomètre de la ville et dirigée dans une réserve derrière la Maison des Sœurs de Sainte-Chrétienne. De là, l'eau est ensuite dirigée par des tuyaux à partir de la porte de Strasbourg dans la rue de Sarreguemines jusqu'à la Kaserne Falkenstein et jusque dans la rue des Tilleuls, pour un coût de 32 000 marks.

La ville durant l'annexion et en haut de la carte, la Kaserne Falkenstein, devenue après 1918 la casene Teyssier. La place Jeanne-d'Arc au début du XXe siècle, au pied de l'église catholique Sainte-Catherine de Bitche. Panorama de la ville et de la citadelle de Bitche pendant l'annexion de 1871 à 1918.

3. Années 1890

À Bitche où une source est captée sur les flancs de la colline du Schimberg dès 1891 sur une longueur de deux kilomètres pour alimenter la fontaine de la ville (Stadtbrunnen), l'ancienne conduite d'eau potable est rénovée en 1889 et même prolongée pour une somme de 32 000 Reichsmarks. Ces travaux coïncident avec la destruction de la porte de Sarreguemines, non loin de l'actuel hôtel des postes. Deux ans plus tard, le pic des démolisseurs s'attaque à la porte de Phalsbourg, appelée communément porte de Lemberg, pour la faire disparaître. Le renforcement militaire allemands s'accentue en ce fin de XIXe siècle à Bitche. En 1894, des casernes sont construites à la sortie est de la ville pour abriter les effectifs de deux compagnies. Bitche compte 2 846 habitants en 1894 et, l'année suivante, la ville abrite 557 habitants de religion protestante sur les 2 854 qui composent la population bitchoise. L'ensemble des immigrants allemands s'éleve alors à 997 personnes. Notons qu'en 1895, la ville délivre déjà de l'eau potable à soixante maisons branchées individuellement à une canalisation.

Le 1er avril 1897, un bataillon du 171e Régiment d'Infanterie allemand remplace le régiment brandebourgeois qui quitte la ville. À ce moment, on commence la réfection du clocher de l'église Sainte-Catherine, qui a été gravement endommagé par des obus pendant le long siège de la ville en 1870-1871. Lors de ces travaux, on retrouve les ossements du comte Henri-François de Bombelles en faisant sauter des roches à la base du clocher. Ces ossements sont déposés dans la chapelle du cimetière actuel, avec une plaque commémorative en latin. Une caserne est construite en 1898 à la sortie nord de la ville. Appelée Kaserne Falkenstein d'après un général allemand, elle sera rebaptisée Caserne Teyssier en souvenir du défenseur de la cité. Un mess des officiers est construit en même temps que cette caserne en 1898.

Un accord scolaire est signé le 9 mai 1899 entre la ville de Bitche et Monseigneur l'Évêque de Metz. Ce traité spécifie ainsi le financement des bâtiments construits à proximité de l'Institut Saint-Augustin : l'entretien des bâtiments sera à la charge de l'Évêché, la ville paiera 640 marks de subvention annuelle pour rémunérer un maître d'école et elle aura le droit d'y placer huit élèves de son choix.

La nouvelle gare de Bitche en 1910. La ville de Bitche en 1915 avec l'ancienne enceinte urbaine et la caserne Langlois, détruite lors de la reconstruction après 1945. Bitche à la fin du XIXe ou au début du XXe siècle.

4. Années 1900

L'année 1900 voit la démolition de la porte de Landau et la poursuite de la destruction des remparts de la ville. Seule la porte de Strasbourg subsiste jusqu'à nos jours. L'essor économique et démoraphique de Bitche à cette date motivre la création d'un réseau d'électricité pour desservir la ville. Ce réseau coûte 70 000 marks et peut desservir les 387 maisons de la ville qui compte alors 3 640 habitans, militaires y compris.

N'oublions pas que jusque vers 1900 le sort de l'homme moyen est souvent de travailler entre douze et quinze heures par jour sans qu'il soit question de congés payés ou de retraite. En cas d'accident du travail, ni la victime ni la famille n'ont droit à une indemnité. Dans le Bitscherland comme partout ailleurs à cette époque, la population vit trop près de la misère pour pouvoir se passer du travail des enfants et bon nombre d'hommes font le dur métier de gardiens de vaches ou de pâtres dès l'âge de huit ans. Les enfant doivent aussi participer dès leur plus jeune âge à tous les travaux domestiques. L'enseignement primaire, en France, n'est obligatoire qu'à partir du 28 mars 1882 et jusqu'à treize ans seulement.

Pour renforcer l'importance stratégique de la place-forte Bitche, un champ de manœuvres et de tirs est constitué en 1900 à proximité de la ville par le rachat de 3.285 hectares de terrains soit à des particuliers de Bitche et de Haspelschiedt soit à la forêt domaniale. Pour procéder au travail important de débardage du bois sur ces terrains, une voie ferrée forestière est construite sur une longueur de seize kilomètres à partir de l'actuelle gare de la cité fortifiée. Des baraques en tôle ondulée sont montées au sud-est de la ville afin de loger 3.500 soldats et 100 officiers. Quelques années plus tard, ces constructions sont transférées sur le champ de tir à trois kilomètres à l'Est de la ville, le long de la route menant vers Sturzelbronn et Wissembourg. Cinq baraques d'officiers sont élevées durant l'hiver 1901 à l'extrémité du champ de tir. Emménagés dès le 1er avril 1901, elles coûtent la coquette somme de 100.000 Reichsmarks. L'empereur allemand Guillaume II (1859-1941) honore la ville de sa visite et inaugure officiellement le nouveau camp militaire le 14 mai 1903.

La boucherie Kremer au début du XXe siècle. Le champ de manœuvres et de tirs est constitué en 1900 à proximité de la ville de Bitche. Il reçoit la visite de l'empereur Guillaume II le 14 mai 1903. Panorama de la cité bitchoise pendant l'annexion allemande.

En 1902, la ville compte 3 640 habitants dont 1 300 militaires. Quant à l'Insitut Saint-Augstin, il abrite alors 300 élèves supervisés par dix-sept maîtres. L'importance des effectifs de l'Institut décide l'évêque de Metz Willibrord Benzler à faire racheter 8 hectares de terres en 1904 au Sud de Bitche, le long de la route de Lemberg, au lieu-dit Dragonerbrunnen, et à faire dresser des plans pour la construction d'un nouvel établissement. Son choix lui est aussi dicté par la vétusté de l'immeuble Saint-Augustin où logent et enseignent les autorités ecclésiastiques. Les plans du futur collège ne sont pourtant achevés qu'en 1913. Le projet de construction faillit démarrer dès l'été 1914 par l'exploitation de carrières situées sur le terrain acquis, mais la première guerre mondiale allait stopper ces travaux.

En 1905, Bitche compte 4.758 habitants dont 1.904 protestants et 1.770 militaires. Les immigrés représentent 2.266 personnes, c'est-à-dire 48 % de la population. Cette année, une nouvelle source est captée derrière l'étang de Hasselfurth et dirigée vers le réservoir d'eau du Schlossberg. La ville compte alors 404 maisons dont seulement 198 bénéficient d'un branchement de canalisation individuel. Les autres maisons doivent s'approvisionner à vingt puits individuels et à vingt-trois pompes à eau publiques situées dans les rues de la ville.

5. Années 1910

En 1909, un nouveau changement de garnison a lieu avec l'arrivée du 166e Régiment d'Infanterie de Hessen-Hombourg, en provenance de Mayence. En réalité, de 1880 à 1918, la ville de Bitche est une véritable plaque tournante de troupes allemandes : épargnée des combats de 1914-1918, Bitche sert pourtant activement de place d'instruction et d'entraînement aux troupes. Lorsque la guerre éclate en 1914 pour embraser bientôt toute l'Europe, les Bitchois de 18 à 45 ans doivent partir se battre sous l'uniforme allemand sur les différents champs de batailles européens : la première guerre mondiale voit tomber ainsi 48 Bitchois au champ d'honneur allemand. L'armistice du 11 novembre 1918 rend Bitche à la France après quarante-sept années de domination allemande.

II. Notes et références

1. HIEGEL, 1972, p. 19-22 (voir bibliographie).
2. HIEGEL, 1974, p. 89-122 (voir bibliographie).
3. HIEGEL, 1975, p. 85-107 (voir bibliographie).

III. Annexes

1. Bibliographie

2. Liens internes

Accueil