Le siège de Bitche : 1870-1871

Le Bitscherland, région aujourd'hui excentrée et loin des axes majeurs de communication, possède pourtant une histoire très riche, du fait de sa position stratégique, aux marches des deux grandes puissances que sont l'Allemagne et de la France. La région possède également un riche patrimoine civil et religieux. L'histoire de la ville de Bitche et du Bitscherland, véritable enjeu militaire, est indissociable de celle de leur forteresse imprenable ; elle présente des particularités qui lui sont propres.

Préliminaires

Bimsarck pense qu'une guerre franco-allemande s'avére nécessaire pour réaliser l'unité de l'Allemagne au profit de la Prusse. L'affaire de la dépêche d'Ems va mettre le feu aux poudres conformément à ses vœux et malgré le manque d'enthousiasme de Napoléon III. Lorsque la France déclare la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870, la Prusse dispose de 450 000 hommes bien entraînés, dotés d'un armement efficace avec une tenue peu voyante et pratique : tunique bleu foncé, pantalon et bottes. Quant à l'armée française, malgré sa bravoure, elle n'est pas préparée à la guerre. D'une tenue trop voyante (képi et pantalon rouge, guêtres de toile blanche, capote bleue), le soldat français présente une cible parfaite pour l'ennemi. Son fusil Chassepot tire pourtant deux fois plus loin que le fusil allemand et le canon, chargé par la culasse, est en bronze. Les faits prouveront par la suite que si les soldats des armées impériales ont magnifiquement servi la France, leur encadrement laissait souvent à désirer. Le commandant Teyssier, à la tête de la place de Bitche durant les combats, en sera une exception.

D'après un compte-rendu daté du 1er janvier 1870, la citadelle abrite au début de l'année 53 canons, 4 662 fusils et 1 399 416 cartouches, plus de 120 tonnes de poudre et 26 128 projectiles de gros calibre. Lorsque le conflit éclate le 19 juillet 1870, il n'y a pas eu de ravitaillement supplémentaire à la forteresse. Peu de temps avant le conflit, le commandant Teyssier, nouvellement arrivé à Bitche et nommé le 9 juillet 1870, s'est installé dans la mairie de la ville. Avant de venir à Bitche, il était chef de bataillon d'un régiment d'infanterie à Thionville. Ce n'est qu'au début des hostilités qu'il transfère son domicile dans la forteresse où la mise en place des canons n'a lieu qu'après la bataille de Frœschwiller-Wœrth et sous la direction d'un capitaine d'artillerie en retraite, le capitaine Rossin.

Le plateau de la citadelle et les bâtiments bombardés. La majestueuse citadelle de Bitche, veillant sur la paisible cité entourée des premières collines vosgiennes. L'entrée de la citadelle pendant les bombardements.

La cité militaire de Bitche est devenue le point de rassemblement du 5e Corps Français, placé alors sous les ordres du général de Failly. Le 18 juillet 1870, la veille de la déclaration officielle de la guerre, la place-forte abrite dix-sept bataillons d'infanterie ainsi que deux régiments de cavalerie. Le 23 juillet 1870, le général de Failly transfére son quartier général de Bitche à Sarreguemines, laissant la place aux troupes du général Guyot de Lespart, avec sa 3e Division composée des 17e, 27e, 30e et 68e régiments d'infanterie. Le 24 juillet 1870, un détachement ennemi, composé du 7e régiment de Uhlans allemand, sabote la voie ferrée de Bitche-Sarreguemines à proximité du village de Bliesbruck, dans le but d'isoler la ville de Bitche.

Début du conflit

Le 29 juillet 1870, un premier accrochage a lieu à proximité du village de Breidenbach, à une dizaine de kilomètres au Nord de Bitche. Il s'agit d'une altercation entre une patrouille du 5e Dragons allemand et une patrouille française. L'avant-garde française réagit immédiatement en établissant le 31 juillet 1870 des travaux de retranchement sur les hauteurs de Hanviller, village situé à six kilomètres au Nord de Bitche. Le 1er août 1870, des chevaux-légers du major Von Egloffstein et des hommes du 12e Prussiens, placés sous les ordres du major Von Parry, forment un groupe de cinquante soldats à Eppenbrunn, village-frontière allemand, d'où ils se dirigent vers la route de Bitche à Wissembourg. Ces éclaireurs allemands sont attaqués à Sturzelbronn par des éléments de l'infanterie française et doivent battre retraite en direction de Ludwigswinkel en empruntant les chemins escarpés par la ferme du Mühlenbach. Un hussard allemand est capturé à la ferme alors qu'il soigne son cheval blessé.

Le général de Failly est informé de la prise de la ville de Wissembourg par les Allemands et de la progression de la 3e Armée allemande. Il lui est alors ordonné de rassembler toutes ses troupes à Bitche. Suite à ces directives, la division Lespart, qui s'était avancée jusqu'à proximité de Pirmasens, dans le Palatinat, se retire à nouveau sur Bitche le 2 août 1870. Le général de Failly arrive à Bitche avec le reste du Corps dans la soirée du 5 août 1870.

Au matin du 6 août 1870, un ordre du maréchal Patrice de Mac Mahon enjoint aux troupes bitchoises d'envoyer sans délai une division dans le village de Philippsbourg, à dix-sept kilomètres au Sud-Ouest et à la limite de l'Alsace. Les hommes devront de là rejoindre la ville de Wissembourg le lendemain avec le reste du Corps. C'est ainsi qu'au matin du 6 août 1870, la division Lespart quitte la place de Bitche pour se rendre à Philippsbourg, où elle apprend la défaite française de Wœrth survenue ce jour-même. Cette mauvaise nouvelle est d'ailleurs télégraphiée à Bitche par le chef de gare de Bannstein vers dix-sept heures. Progressant encore de quelques kilomètres dans la vallée encaissée vers Niederbronn-les-Bains, la division française prend finalement position sur les hauteurs, à droite et à gauche de la petite station thermale. Ces troupes d'observation seront entraînées dans la retraite, par les survivants de l'armée du maréchal de Mac Mahon, vers Saverne et vers Bitche avec quelques milliers de rescapés du 1er Corps.

La brigade Fontanges prend la direction de Saverne tandis que la brigade Albatucci se dirige vers la cité fortifiée de Bitche. A ce moment-là, la garnison bitchoise est composée de 800 soldats du 86e, de 250 artilleurs de réserve, de douaniers, de gardes-mobiles bitchois, d'isolés, d'éclopes, de lignards, de cavaliers, de fantassins, de zouaves et de rescapés de la bataille de Frœschwiller-Wœrth. En fait, cette troupe hétéroclite représente exactement pas moins de 72 régiments divers. Au nombre de 2 400, ces valeureux soldats se sont réfugiés en partie sur la citadelle et dans le camp retranché mis en place devant le fort Saint-Sébastien. L'armement à leur disposition est composé de 53 canons dont 17 seulement sont utilisables. Contrairement aux troupes prussiennes ennemies, les militaires français retranchés à Bitche n'ont pas encore de fusils chassepots mais de vieux modèles à tabatière.

À Bitche, le général de Failly a vainement attendu des ordres, après avoir été informé des combats s'étant déroulés près de l'Hôpital, dans les environs de Forbach, et de Wœrth, au sud-ouest. Au soir du 6 août 1870, il prend finalement la décision de quitter la ville de Bitche pour la Petite-Pierre, en proche Alsace, avec ses deux divisions, laissant les Trains à Bitche. Le commandement allemand, supposant à ce moment-là que le maréchal de Mac Mahon s'est retranché dans la place bitchoise, ordonne à la 12e Division allemande, placée à côté de Pirmasens, de progresser vers Bitche. Durant son avance, elle reçoit des informations par des éclaireurs qui ont atteint les villages de Haspelschiedt et Sturzelbronn, situés au Nord-Est de Bitche, le 7 août 1870. Les Allemands constatent alors, dans la nuit du 7 au 8 août 1870, que des soldats français en déroute traversent le village d'Eguelshardt et que de nombreuses unités bivouaquant à Bitche se sont retirées vers le Sud.

La citadelle pendant le siège sur une carte postale. La citadelle pendant le siège. La citadelle pendant le siège.

Mais lorsque le 4e Escadron du 5e Régiment de Dragons allemand s'approche de la citadelle dans la journée du 8 août 1870, il est immédiatement pris pour cible par les pièces d'artillerie françaises de la forteresse et a à déplorer quatre morts, qui enterrés provisoirement dans le cimetière de Haspelschiedt, ainsi que cinq blessés. L'escadron allemand bat alors très vite en retraite. Le même jour, une brigade d'artillerie du 2e Régiment d'Artillerie bavaroise est envoyée vers la ville de Bitche. Après être montée sur la colline du Kindelberg et après avoir lancé quelques tirs d'obus sur la citadelle, elle essuie une vive riposte française. Un artilleur bavarois est tué et quatre autres blessés. La pièce d'artillerie détruite, les Bavarois battent aussitôt en retraite.

La résistance des soldats bitchois neutralise ainsi les principales voies de communication, ce qui gêne considérablement la progression des troupes allemandes. Le 2e Corps bavarois se rend alors dans le village de Lemberg en empruntant des chemins forestiers par la colline du Hochkopf, après avoir laissé un bataillon d'infanterie et un escadron de chevaux-légers en observation à proximité de Bitche. Quant à la 12e Division allemande venant des environs de Pirmasens, dans le Palatinat, elle gagne le même jour les villages de Lengelsheim et de Schorbach, après avoir emprunté l'ancienne route romaine de Walschbronn à Schorbach par les hauteurs de Bousseviller et de Hanviller, surplombant la vallée de la Horn. Le 9 août 1870, cette division quitte les villages de Lengelsheim et de Schorbach pour se rendre à Petit-Réderching, où le prince Frédéric-Charles est arrivé la veille avec son 4e Corps à partir de Volmunster, dans le but de couper la route au maréchal Patrice de Mac Mahon que les Allemands supposent toujours dans la bonne ville de Bitche.

Le 11 août 1870, les troupes allemandes d'observation laissées près de la ville de Bitche sont relevées par le 1er bataillon du 7e Régiment d'Infanterie bavarois, chargé de protéger les ambulances militaires de Reichshoffen et de Niederbronn-les-Bains et chargé d'envoyer des patrouilles d'observation à Bitche. La citadelle et le camp retranché n'abritent plus, à ce momemt-là, que 2 400 hommes. Pour éviter que les troupes rescapées des batailles défaites de Wœrth et de Forbach ne propagent des rumeurs démoralisantes parmi ses propres troupes réfugiées dans la citadelle et au sein de la population bitchoise, le commandant Teyssier ordonne alors de regrouper les soldats au fort Saint-Sébastien et dans le camp retranché aménagé au pied de ce fort, à l'emplacement de l'actuel stade municipal. Pour affermir le moral de ses soldats à la citadelle, Teyssier leur explique l'importance stratégique majeure de la place de Bitche en cas d'une retraite allemande.

Se rendant compte que les troupes françaises stationnées dans la cité bitchoise gênent par trop sa stratégie et sa progression, qui était victorieuse jusque-là, le commandant allemand créé alors un détachement spécial à Germersheim, au nord de Karlsruhe, afin de réduire la résistance de la place de Bitche. Ce détachement compte 1 850 hommes et est formé par des membres du 2e bataillon du 4e Régiment d'Infanterie bavarois, du 29e bataillon de réserve, d'un officier et de huit cavaliers, avec 4 canons de 12 livres à 44 coups et à obus incendiaires. Placé sous les ordres du colonel Kohlermann, avec 112 chevaux et 13 véhicules, ce détachement arrive dans la petite ville thermale de Niederbronn-les-Bains le 22 août 1870 et fait aussitôt sommation au commandant de la citadelle, en lui demandant instamment de rendre la place.

Bombardement

Dans la nuit du 22 au 23 août 1870, les Bavarois installent avec grande peine une batterie d'artillerie sur la colline du Grand-Otterbiel, située à 1 100 mètres au Nord de la citadelle. Cette colline présente en effet l'avantage de se trouver à la même altitude - 366 mètres - que la colline du Schlossberg où se situe la citadelle. Au matin du 23 août 1870, les assiégés de la place sont réveillés par des explosions. Le troisème obus tombe sur la Grosse-Tête de la citadelle, et plus exactement sur la prison du fort, où se trouvent enfermés plusieurs prisonniers allemands, dont l'un est blessé. Les tirs allemands se poursuivent deux heures durant, faisant s'abattre sur la citadelle cinquante-deux obus à fragmentation et vingt-cinq obus incendiaires. Comme il n'y a aucun résultat à la riposte de la citadelle, le colonel Kohlermann fait stopper le feu à sept heures du matin et envoie un parlementaire pour demander une nouvelle fois au commandant Teyssier de se rendre. Celui-ci réitère une fois de plus son refus et son obstination héroïque. Le commandant allemand Kohlermann comprend alors qu'il lui faudra une artillerie plus puissante pour parvenir à réduire la place bitchoise. Se retirant dans un bivouac situé entre les villages de Lengelsheim et Hanviller, il décide d'y attendre la livraison d'un armement plus efficace avant de poursuivre les offensives.

Notons que la riposte française à ce bombardement matinal, violent et inattendu, fait toutefois subir des pertes à l'assaillant allemand : un officier et deux servants sont ainsi blessés par les tirs français. Du 23 au 27 août 1870, l'activité allemande se réduit alors à des travaux d'approche dans le bois des côtes de la Rosselle ; les soldats bavarois creusent à ce moment des retranchements et installent des positions d'artillerie. Le commandant Louis-Casimir Teyssier décide alors de harceler l'assaillant.

Dans la nuit du 29 au 30 août 1870, à deux heures du matin, quatre cents soldats français quittent le camp retranché en trois colonnes pour harceler les positions allemandes installées au sud de la route de Sarreguemines, sur le plateau de la Rosselle dominant la ville à l'Ouest. Cette diversion permet aux soldats français de détruire des emplacements destinés aux pièces allemandes et de tirer sur les différents bivouacs de ces derniers. Le 31 août 1870, deux parlementaires allemands se présentent à nouveau au pied de la citadelle avec des journaux destinés à démontrer aux assiégés l'inutilité de leur résistance au vu de la situation générale et de la progression de l'armée allemande. Sur les ordres du commandant Teyssier, le lieutenant Mondelli les fait une fois encore éconduire. Ce même jour, les troupes allemandes reçoivent des renforts avec l'ordre de réduire définitivement la place de Bitche.

Panorama de la ville et de la citadelle en 1870. La cité bitchoise et sa forteresse vues depuis les hauteurs de la Rosselle. Des soldats français durant le siège.

Encouragés par le succès de leur sortie précédente, les soldats français livrent alors une légère escarmouche le 1er septembre 1870 à seize heures trente, à proximité de la route de Sarreguemines. Dans la nuit du 3 au 4 septembre 1870, le commandant Teyssier fait exécuter une autre sortie de diversion à partir du camp retranché. Huit cent soldats se divisent en trois groupes distincts avec les missions suivantes :

Mais les soldats allemands sont sur leurs gardes, l'effet de surprise échoue et le combat qui suit dure trois heures, obligeant finalement les Français à battre en retraite. Les pertes bavaroises s'élèvent à neuf soldats, deux officiers et à vingt-neuf blessés, alors que les soldats de Teyssier déplorent neuf tués, soixante-deux blessés et trente hommes faits prisonniers par les Bavarois. Ces violents combats ont lieu à l'endroit appelé Milchenbach, à gauche de la route de Sarreguemines. Le quartier général allemand se trouve d'ailleurs non loin de là, dans la ferme du Freudenberg. Ce jour est pourtant un jour de joie pour les troupes allemandes qui apprennent la défaite de Sedan.

Quant au commandant Louis-Casimir Teyssier, il est informé de la débâcle de Sedan le 2 septembre 1870 par un émissaire venu de Metz. Pour ne pas briser le moral de ses troupes et de la population civile bitchoise, il préfère taire la nouvelle. Le lendemain, le 1er bataillon du 8e Régiment d'Infanterie bavarois vient renforcer les assiégeants. Venu de Germersheim, il se fractionne par moitié entre les villages de Schorbach et Reyersviller, tandis que le bataillon du 4e Régiment d'Infanterie se réunit au centre de la ligne aux fermes du Simserhof et du Légeret. De l'artillerie lourde est placée à la tuilerie de Hottviller. La place de Bitche est maintenant isolée et entourée complètement par des bataillons ennemis.

Le 5 septembre 1870, les soldats allemands reçoivent un renfort de seize pièces de douze livres et quatre pièces de six livres, avec deux cent obus par pièce. Le bombardement de Bitche se fait alors imminent. Le 6 septembre 1870, les troupes allemandes prennent les positions suivantes :

Les troupes allemandes installent à ce moment six batteries avec trois cent obus chacune, entre le 6 et le 11 septembre 1870, alors qu'une forte pluie tombe sans interruption. Les effectifs allemands comptent alors 3 788 hommes et 24 pièces d'artillerie. Ces pièces sont regroupées en six batteries, situées de la façon suivante afin d'encercler la place de Bitche :

Les emplacements des pièces d'artillerie dominent d'environ trente mètres d'altitude le sommet de la citadelle bitchoise : le bombardement peut donc commencer. Le 11 septembre 1870, les premiers bombardements débutent sans avertisesement à dix heures du matin, avec vingt-quatre pièces qui se mettent à cracher le feu. La citadelle réplique aussitôt avec ses quatorze canons et les échanges de tirs se poursuivent de la même manière presque toute la journée. Près des bâtiments embrasés sur la citadelle, les canons français cessent de répliquer vers midi, alors que les artilleurs allemands continuent leurs tirs jusqu'à vingt-trois heures.

La ville et la citadelle de Bitche en 1870, avec au premier plan les tentes du camp retranché des hommes de Teyssier. La citadelle et la ville durant le siège. Napoléon III et Bismarck après la défaite de Sedan.

Ces tirs reprennent même dans la nuit, ce qui force la citadelle à répliquer jusqu'au matin du 12 septembre 1870 à neuf heures. Les canons allemands poursuivent leur bombardement sur le camp retranché aménagé derrière le fort Saint-Sébastien et, à partir de dix-huit heures, les canonniers allemands, excédés par la résistance bitchoise, reçoivent l'ordre de bombarder les maisons civiles de la petite ville, qui demeuraient épargnées jusque là. La vision devient dantesque : les bâtiments sur la citadelle et les maisons enflammées de la ville illuminent la nuit, alors que le ciel rougeoyeant est obscurci par des nuages de fumée. En ville, au moins soixante-dix maisons s'embrasent, ainsi que la mairie.

Le lendemain, le 13 septembre 1870, monsieur Lautenschlager, maire de la ville, demande au commandant Teyssier de suspendre momentanément les tirs d'artillerie, afin de solliciter auprès du colonel Kohlermann, le chef des assiégeants, la permission pour les habitants qui le désirent de quitter la ville assiégée. Le colonel Kohlermann refuse tout d'abord, puis déclare que la population qui partirait le ferait sous sa propre responsabilité. Le commandant Teyssier prend alors des dispositions afinde permettre l'évacuation. Il n'est en effet pas mécontent d'économiser ainsi des vivres, qui pourront être utilisées par ses troupes rationnées. En ce 13 septembre 1870, un certain nombre de Bitchois quitte la ville pour s'installer dans les villages environnants, principalement dans les localités de Mouterhouse et de Baerenthal, mais aussi à Lemberg, Goetzenbruck, Meisenthal, Saint-Louis-lès-Bitche, Haspelschiedt et Eguelshardt. Il existe cependant une controverse entre historiens sur le nombre de ces partants : le nombre variant sensiblement de 500 à 1 760 selon les différentes sources.

Après le départ de ces volontaires, comprenant le maire Lautenschlager et monsieur l'Archiprêtre, le commandant Teyssier désigne une commission municipale, présidée par monsieur Lamberton, afin d'administrer la cité. Il faut pourtant noter un fait très important : les militaires allemands repoussent à l'intérieur de la ville un groupe de malades touchés par la variole, peut-être dans l'intention de contaminer aussi la garnison récalcitrante. Les tirs reprennent alors le 14 septembre 1870 sur la citadelle, sur la ville et le camp retranché. Une épaisse fumée flotte en ces jours au-dessud de la vallée soumise à ce bombardement continu. Un drame faillit se produire ce jour-là sur la citadelle : un bâtiment prît en effet feu. Situé sur la Grosse-Tête, il abritait une casemate contenant près de dix tonnes de poudre en barils. L'incendie est maîtrisé in extremis et il est aisé d'imaginer ce qui aurait pu se passer si la poudre avait pris feu.

Les obus continuant à tombre nuit et jour sur la citadelle, les soldats français perdent la notion du sommeil. Les vivres sont rationnées, l'incendie et la fumée prend les hommes à la gorge, l'eau du puits devient trouble et les hommes réfugiés dans les souterrains n'entendent plus que le bruit sourd des obus qui explosent en surface et les cris des bêtes qui se trouvent dans les souterrains. Ceux-ci abritent non seulement un hôpital, mais aussi des toilettes, des chambres pour les officiers, des salles pour la troupe, une boulangerie, une boucherie, un puits, une salle-étable, des magasins de vivres et de munitions. Les 16 et 17 septembre 1870, les Allemands utilisent quatre nouvelles pièces de campagne pour bombarder Bitche : elles sont installées à la lisière de la forêt du Rothenstieg et sur le terrain situé entre les collines du Grand- et du Petit-Otterbiel. Les bombardements ralentissent à partir du 18 septembre 1870, ce qui n'empêche pas les pièces françaises de riposter en permanence. Le 19 septembre 1870, le commandant Teyssier décide de porter la ration de riz à quarante grammes par tête et par jour.

Dans la soirée du 20 septembre 1870, les Allemands stoppent progressivement leurs tirs. Un parlementaire vient annoncer à Teyssier que la République est proclamée à Paris et que Guillaume Ier se trouve sous les murs de la capitale. Teyssier renvoie le parlementaire après avoir déclaré qu'il désire des preuves. Le bruit des canons cesse le 21 septembre 1870 : les tirs sur la citadelle et sur la ville de Bitche ont duré exactement dix jours et dix nuits. Le bilan de ce bombardement est très lourd. Les 7 100 projectiles allemands qui s'abattirent sur Bitche et sur sa citadelle semèrent la mort et la destruction : sur les 390 maisons que compte la ville, 121 bâtiments sont entièrement détruits et 184 autres partiellement endommagés. 135 foyers bitchois perdent leur maison. Quant à la citadelle, tous les bâtiments sauf la chapelle sont détruits par les obus incendiaires. L'arrêt des bombardements allemands est motivé par un ordre du général-gouverneur d'Alsace, le comte de Bismarck-Bohlen, qui se rend compte que le siège et le bombardement coûtent trop de matériel et immobilisent trop de troupes. Sur son ordre, les pièces allemandes sont enlevées le 25 septembre 1870.

Le fort Saint-Sébastien et l'emplacement du camp retranché des hommes de Teyssier vus depuis le plateau de la citadelle. La tombe bavaroise, ou Bayerngrab, est érigée sur les hauteurs de Schorbach en souvenir de la fosse commune où furent inhumés des soldats allemands.

Blocus de Bitche

À partir du 25 septembre 1870, le véritable blocus de la ville de Bitche se met progressivement en place. Les Allemands se bornent à observer l'activité de la petite cité. Ils bloquent les routes d'accès de Niederbronn-les-Bains et de Lemberg, en installant des baraquements derrière le Pfaffenberg et à la Schwangerbach, tout en effectuant des patrouilles au Nord et à l'Ouest de la ville. Le résultat des violents bombardements et du siège ne se fait pas attendre : une épidémie de typhus et de variole se déclare rapidement au sein de la population civile déjà très éprouvée. Le commandant Teyssier organise alors le transport par des ambulances, avec l'aide des femmes de la ville et des très dévouées Sœurs de la Charité. Il improvise également un hôpital au collège des Augustins et un drapeau blanc est hissé au dessus de l'Insitut transformé en hôpital militaire, tenu par les religieux.

La tactique des troupes françaises assiégées est dorénavant de harceler les soldats allemands, par des patrouilles extérieures. Bien que ceux-ci aient fait afficher en différents endroits des pancartes bilingues, disant que « toute action et toute tentative de ravitaillement de la place seraient punies de mort », la ville est tout de même ravitaillée de jour et de nuit, par les habitants des villages voisins et même par des femmes et des enfants qui y apportent des vivres. Quatre compagnies françaises effectuent une sortie de diversion dans la nuit du 29 septembre 1870 et repoussent des travaux d'approche allemands, sur la route de Sarreguemines. Une autre sortie, le 2 octobre 1870, aboutit à l'incendie de la ferme du Freudenberg, au cours d'une escarmouche qui fait six tués français, six tués allemands et six blessés allemands. D'autres sorties sont également effectuées vers la route de Wissembourg, vers la Cense aux Loups ou Wolfsgarten, ainsi que vers la route de Phalsbourg.

Le 7 octobre 1870, un nouveau parlementaire allemand se présente à la citadelle. Le commandant Teyssier charge alors l'adjudant de la place de le faire éconduire avec pour seule réponse : « toute démarche est inutile : nous ne rendrons pas ! » À Sarreguemines et à Niederbronn-les-Bains se créent alors des comités de soutien, qui réussissent à faire parvenir des lits, des matelas, des vêtements et de vivres à la population civile bitchoise. Ce blocus devient encore plus rigoureux par l'arrivée de la pluie et de la neige. Au début du mois de novembre 1870, l'adjudant Mondelli parvient à s'évader de Bitche pour se rendre à Tours, et procurer la solde à la glorieuse garnison. Pour adoucir le sort des troupes qui campent sous des tentes au camp retranché, installé au pied du fort Saint-Sébastien, des wagons sont enlevés à la gare de Bitche et transférés dans ce camp de fortune, afin de servir d'abris aux soldats transis.

Une situation assez étrange s'installe dans la ville assiégée et particulièrement démolie : sur la requête de la population, soutenue par la création d'un comité de défense, les portes de la ville sont ouvertes de 7 heures du matin à 17 heures, laissant une vie presque normale se développer sous les yeux des observateurs allemands. Pour soutenir le moral de la garnison, Teyssier a même organisé une fanfare, grâce à des instruments de musique découverts dans les caisses du magasin de la citadelle. Lors du retour de Tours de l'adjudant Mondelli le 18 novembre 1871, de nombreuses promotions sont rapportées aux assiégés. Le remaniement du régiment est alors fait avec le bataillon des assiégés et les autres troupes de la ville : le nouveau 54e Régiment d'Infanterie, avec 10 compagnies de 160 hommes chacune, est créé. Afin de payer la garnison, Teyssier a envoyé une requête au Consul de France à Neuchâtel en Suisse. Il obtient ainsi la somme de 50 000 francs, fin novembre. C'est à ce moment-là que 25 officiers français quittent Bitche pour rejoindre des troupes à l'intérieur de la France, ce qui laisse la ville en ce début du mois de décembre 1870 avec 79 officiers et fonctionnaires, 2 800 soldats, 2 officiers et 160 soldats dans les abris sanitaires, et 1 347 personnes civiles.

Cette population globale de 4 334 personnes, bien qu'assiégée par les Allemands, réussit à vivre presque normalement, grâce à l'approvisionnement régulier par les villages environnants. À la fin du mois de janvier 1871, un journal parvient aux assiégés leur apprenant la reddition de la ville de Paris aux mainds des Prussiens. Malgré cette nouvelle accablante, le drapeau français continue de flotter fièrement au sommet de la citadelle. L'armistice du 28 janvier 1871 ne modifie en rien la situation de la cité.

Un nouveau parlementaire allemand vient annoncer officiellement la conclusion d'un armistice, le 1er février 1871. Le commandant Teyssier rejete cette nouvelle comme étant « sans valeur » pour la garnison bitchoise. Le 5 février 1871, deux nouveaux parlementaires apportent un pli cacheté, qui contient la copie française du traité. Teyssier peut constater que Bitche est devenue la victime des divergences des deux autorités gouvernementales existant, l'une à Paris et l'autre à Bordeaux puisqu'elle est tout simplement oubliée. Sur ces entrefaites, Mondelli nouvellement nommé capitaine, est chargé par Teyssier de chercher des instructions officielles à Bordeaux où il arrive le 17 février 1871. Le capitaine Mondelli revient ainsi à Bitche avec une lettre du ministre français de la Guerre.

Le 7 mars 1871, le commandant Teyssier expose alors la situation à ses troupes et aux habitants de la ville assiégée. L'évacuation des troupes françaises est décidée. Dans la soirée du 9 mars 1871, un nouveau parlementaire allemand apporte à Teyssier un autre ultimatum, envoyé par le comte de Bismarck-Bohlen et transmis par le colonel Kohlermann qui est le chef des assiégeants de Bitche. Teyssier refuse toute directive allemande et réclame des instructions émanant du gouvernement français, le seul ayant autorité sur lui et ses hommes. Il a déjà fait démonter et transporter des pièces de 12 et de 24 de la citadelle jusqu'à la gare, afin de les ramener en France et de les soustraire aux troupes allemandes.

Le drapeau offert aux défenseurs de la cité et remis par le fils du commandant Teyssier en 1919, après le retour à la France. L'ouvrage de la Petite-Tête de la citadelle, dominant l'église Sainte-Catherine et le centre historique de la cité fortifiée.

Le 9 mars 1871, le conseil municipal bitchois décide de faire confectionner et livrer aux défenseurs de la ville un drapeau français portant l'inscription : « La Ville de Bitche à ses défenseurs - 8 août 1870 - 12 mars 1871 ». Le 11 mars 1871, un codicille concernant Bitche est signé à Ferrières en Seine-et-Marne, mais le gouvernement français néglige d'en informer la ville. Le 12 mars 1871, un parlementaire allemand vient présenter au commandant Teyssier une lettre de Jules Favre par laquelle il lui est ordonné d'évacuer Bitche avec les honneurs de la guerre. Dans le gouvernement de la Défense Nationale, Favre devient vice-président et ministre des Affaires étrangères sous la présidence du général Trochu, chargé de la tâche pénible de négocier la paix avec l'Allemagne victorieuse. Il se révéla moins adroit comme diplomate qu'il l’avait été comme orateur et commit plusieurs bévues irréparables. Sa déclaration célèbre du 6 septembre 1870, selon laquelle on ne cèderait à l'Allemagne « pas un pouce de nos territoires, pas une pierre de nos forteresses » fut un morceau d'éloquence auquel Bismarck répliqua le 19 en déclarant à Favre qu’il faudrait céder l'Alsace et la Lorraine comme condition de paix.

Trois jours plus tard, le 15 mars 1871, une cérémonie a lieu au camp retranché : le drapeau confectionné par la ville est remis à Teyssier devant les troupes au garde-à-vous et qui défilent peu après devant les représentants de la municipalité. À cette même occasion, le commandant Teyssier reçoit une couronne de laurier de la part d'un comité de dames de Niederbronn-les-Bains.

Dans le but de trouver l'argent nécessaire pour la mise en route de ses troupes et pour soustraire l'équipement de la citadelle, Teyssier ordonne de détruire la poudre qui reste et fait démolir portes, fenêtres et grilles en fer du pont-levis et d'autres ouvrages pour les vendre à l'usine métallurgique de Niederbronn. Il procède de même avec les excédents de vivres. Cela lui rapporte la somme de 100 000 francs d'époque pour procéder à l'évacuation imminente. Les détails de celle-ci sont discutés le 22 mars 1871 entre les délégués de Teyssier et de Kohlermann dans une maison située au-delà de la voie ferrée sur la route de Strasbourg, mais cette entrevue aboutit à un échec, un désaccord régnant sur les modalités de l'évacuation.

Le colonel Kohlermann fait une sommation à Teyssier : si la garnison française n'évacue pas la ville, elle sera considérée comme « usurpatrice du territoire allemand ». Des pièces de gros calibre sont amenés par les Allemands jusqu'à Bitche pour intimider Teyssier et lui signifier ainsi une éventuelle reprise des bombardements. Le gouvernement français télégraphie alors à Teyssier de quitter la ville « avec les honneurs de la guerre ». Entêté, ce dernier récuse le terme puisqu'il n'y a pas eu de capitulation bitchoise. Teyssier prétend que, depuis le 11 mars 1871, il ne peut être traîté en prisonnier et que les Allemands se doivent de le reconnaître « en mission à Bitche ». Les Allemands demandent en fait l'évacuation de la citadelle sans leurs armes et la mise à dispostition de Teyssier au chef des troupes allemandes à Lemberg.

Dénouement

L'arrêt des pourparlers va avoir des conséquences concrètes et fâcheuses lorsque Mondelli réussit à nouveau à contacter Gambetta à Bourges, ce qui décide Teyssier à procéder à l'évacuation de la ville. Finalement, le 25 mars 1871, la garnison armée quitte la ville en emportant le drapeau confectionné par les habitants pour les défenseurs de leur ville. Les troupes de Teyssier quittent Bitche par la voie ferrée : elles passèrent par Haguenau, Saverne, Sarrebourg, Lunéville, Gray, Dijon, pour rejoindre leur nouvelle affectation à Nevers. Quant à Teyssier, nommé lieutenant-colonel, il reste à Bitche pour la passation officielle de la citadelle, et ne quitte la ville que le 3 avril 1871.

Le commandant Louis-Casimir Teyssier, héroïque défenseur de la place de Bitche pendant le siège de 1870-1871. Le monument bitchois, dédié aux morts de la guerre de 1870-1871, se situait à l'emplacement actuel de l'espace R. Cassin, rue du Général-Stuhl. La tombe d'un soldat allemand de la guerre de 1870, surmontée d'une croix en fonte, est située dans le cimetière du village de Reyersviller.

Le 26 mars 1871, les troupes allemandes pénètrent à Bitche par la porte de Phalsbourg où le commandant Teyssier remet les clefs de la place au colonel Kohlermann. Il faut mentionner un fait très significatif mais très important pour décrire l'état d'esprit de la population bitchoise à ce moment-là. Le jour précédant l'entrée allemande, le maire de Bitche, monsieur Lamberton, a demandé à ses concitoyens de ne pas huer les Allemands par crainte de représailles. Après avoir été française depuis 1766, la ville de Bitche devient allemande.

Le bilan humain du siège de la ville est de dix-neuf morts allemands qui sont enterrés dans les cimetières de Reyersviller, de Schorbach et dans une fosse commune, le Bayerngrab, au-dessus de ce village. Les Bavarois doivent compter égaleent soixante-deux blessés dans leurs rangs. Il faut aussi ajouter quatre soldats bavarois tués et enterrés à Haspelschiedt. Quant aux pertes françaises, les chiffres ne sont pas définis exactement : quatre-vingt-treize soldats français décédés en ville sont enterrés à côté de la chapelle de l'Étang dans le jardin de l'Hospice Saint-Joseph. Les victimes tuées à la citadelle ne sont pas connues de façon précise. Le 86e Régiment d'Infanterie français (transformé plus tard en 54e RI) qui a occupé la citadelle, a à déplorer vingt-et-un soldats tués dans les ambulances ou hôpitaux de fortune. En outre, la multitude des régiments qui représentent les troupes assiégées de Bitche compte soixante-douze autres soldats appartenant aux 17e, 27e, 30e, 46e, 68e, 84e, 88e et 96e Régiments d'Infanterie, aux 9e et 16e Chasseurs, au 1er Régiment de Tirailleurs Algériens, au 2e Régiment de Zouaves, au 1er Régiment du Génie, aux 3e et 5e Régiments de Hussards et au Corps des Douaniers. Les soldats français tombés sur la citadelle sont enterrés dans les fossés.

La population civile a à déplorer six morts, chiffre relativement faible par rapport à l'importance des dégâts subis. Il est à noter que la défense militaire de Bitche par le commandant Teyssier fait sensation dans les milieux militaires français, suscitant un intérêt considérable dans l'instruction militaire au point de figurer longtemps au programme d'études de l'École Supérieure de la Guerre.

Bibliographie

Accueil