Synagogue de Bitche et communauté juive du pays de Bitche

Présents dans la cité bitchoise depuis 1690, les fidèles israélites ont contribué, à des échelles différentes selon les époques, au développement de toute la région. Leur communauté, qui est particulièrement florissante au XIXe siècle, a connu un déclin irréversible le siècle suivant, menant à sa disparition définitive de la ville et du pays de Bitche.

Table des matières

1. Les Juifs en Moselle
5. Les maisons juives de Bitche et Schorbach
2. Les premières mentions dans le Bitscherland
6. La première puis la seconde synagogue
3. La ferme du Judenhof
7. Déclin puis disparition de la communauté
4. Le développement de la communauté après 1870
8. Bibliographie

1. Les Juifs en Moselle

Une ancienne légende juive raconte que les survivants de la destruction de Jérusalem, en 70, auraient été contraints d’embarquer sur trois navires qui, poussés par les vents, auraient accosté à Arles, Lyon et Bordeaux. Ainsi serait née la communauté juive de France. Plus vraisemblablement arrivés à la suite des légions romaines, la présence de Juifs – majoritairement d’origine italienne et nord-africaine -, est attestée en Lorraine dès les VIe, VIIe siècle. Durant les Xe et XIe siècles, la Lotharingie, comprenant aussi Trèves, Mayence et Cologne, constitue un grand foyer de la culture juive occidentale. Privés de la protection des évêques au XIIIe siècle, les Juifs disparaissent des villes pour se répandre dans les différentes principautés de la région, dont le duché de Lorraine. Leur présence est entrecoupée d’expulsions et de massacres. Ainsi, Ferry III de Lorraine accueille en 1323 les Juifs expulsés de France par Philippe le Bel, mais le duc René II les expulsera à son tour en 1477. Avec l’expansion française, le retour des Juifs intervient progressivement : en 1721, dans le duché de Lorraine, vingt-quatre localités abritent soixante-treize familles. 

Durant toute cette période, la condition juridique des Juifs est variable, les autorisations de résidence étant surveillées et taxées. Les activités professionnelles leurs sont limitées : ils sont interdits de corporations et de propriété, foncière et immobilière. Les Juifs sont ainsi confinés dans des fonctions d’intermédiaires (denrées, bétail, friperie, grains) et dans le crédit à court terme. Accablés d’impôts divers, leur liberté religieuse n’est que partielle, avec souvent l’interdiction de construire de véritables synagogues.

En 1791, alors que sur les 40000 Juifs vivant en France, 8000 résident en Lorraine, l’émancipation leur donne l’égalité civile et politique, et leur ouvre l’ensemble des activités. L’empereur Napoléon Ier promulgue la liberté de culte et affirme qu’ « un gouvernement sage protège toutes les religions ». Deux décrets napoléoniens pris en 1808 créent les consistoires, nommés par l’État et composés de laïcs et de rabbins, et dotent la population juive de noms patronymiques stables. Démarre alors une période de croissance de la population, de constructions de synagogues – soixante en Moselle – et d’intégration dans les activités artisanales et administratives, plus tard industrielles et libérales. La vie communautaire se structure également. A partir de 1840, la population juive se déplace vers les villes, mouvement amplifié après 1870 où la possibilité d’option pour la France ainsi que l’émigration vers les Amériques provoquent un déclin des communautés.

Au XXe siècle, la Shoah ampute d’un quart la population juive du département : plus de 2300 ne reviennent pas des camps de concentration ou sont fusillés pour faits de résistance. Après guerre, l’exode rural s’accélère, guère freiné par l’arrivée des quelques familles juives originaires ou installées en Afrique du Nord.

L'empereur Napoléon Ier assure une avancée de taille aux fidèles israélites par les décrets de 1808. La synagogue bitchoise, désaffectée depuis quelques années, se situe dans la rue de Sarreguemines, presque en face de l'hôtel des postes. Hermann Bickler durant la seconde guerre mondiale.

2. Les premières mentions dans le Bitscherland

La ville de Bitche appartient successivement au duché de Lorraine, à la principauté de Zweibrücken, puis à nouveau à la Lorraine. En 1690, sous l’occupation française, on voit s’implanter dans la cité deux familles juives. Les autorités souhaitent les voir développer le commerce de viandes, particulièrement à l’usage de la garnison, mesure communément adoptée dans les villes fortes pour maintenir des prix acceptables pour les militaires. Il semble que le retour à la souveraineté lorraine, après 1697, ait entraîné leur départ. D’autres Juifs, au nombre de cinq, tentent une installation à Achen, village situé plus à l’ouest, vers 1710, mais sans succès durable, semble-t-il.

Des indices relevés dans le canton de Volmunster laissent à penser que des Juifs aient pu fréquenter les villages de Walschbronn et Volmunster au cours du Moyen Âge, sans toutefois d’implantation durable. En effet, malgré l’absence de toute trace d’occupation juive, que représenteraient une synagogue, un Mikvé, la présence ou bien ne serait-ce que la trace d’une Mezouzah (lire la section concernant les objets cultuels pour davantage d’explications), l’existence d’une rue des Juifs à Volmunster et d’une Judengasse à Walschbronn est significative. Les habitants de ces villages semblent tout de même attachés à ces vestiges toponymiques puisque, après la Seconde Guerre mondiale, le bourg de Volmunster étant totalement détruit, la rue des Juifs a néanmoins été réintégrée dans le plan de reconstruction. On peut également citer une parcelle du cadastre de la petite commune de Nousseviller-lès-Bitche, appelée Beim Juden. On peut interpréter la toponymie de ce lieu-dit comme désignant un terrain autrefois propriété d’un sujet israélite, ou bien encore comme un lieu de passage que les Juifs empruntaient.

À Bitche même, les Juifs sont longtemps inconnus, mais ne semblent pas très soucieux de s’installer dans la cité militaire. La première citation écrite faisant état de fidèles israélites présents en ville date de l’année 1760. Il s’agit d’un écrit stipulant que quatorze Juifs originaires de Bitche - plus vraisemblablement du pays de Bitche -, accusés de vol, sont pendus à Nancy. Ce récit, conservé aux archives régionales de Lorraine à Nancy, témoigne bien de la situation de bouc émissaire qui est souvent faite aux pratiquants de cette religion à cette époque. On cite des Juifs installés en ville en 1791. 

3. La ferme du Judenhof

Sur le ban de la commune de Hottviller, à proximité de l’écart du Kapellenhof, se situe la ferme du Judenhof. Cette bâtisse isolée est citée seulement au XIXe siècle. La tradition raconte qu’elle aurait été construite par un homme de confession juive, dont le nom a été oublié. Celui-ci l’aurait par la suite vendus à un certain Pierre Hoellinger, qui lui-même l’aurait cédé à la famille Bichler en 1921, toujours propriétaire.

Certains osent même affirmer que le bâtisseur de la ferme serait également celui de la ferme voisine du Welschhof. Ceci n’apporterait aucun intérêt particulier si cette seconde ferme n’était pas le lieu de naissance d’Hermann Bickler. Cet Allemand, de confession anabaptiste, deviendra par la suite avocat à Strasbourg et s’engagera dans la cause autonomiste. La seconde guerre mondiale se préparant, Bickler entrera dans la S.S. et obtiendra des postes importants dans l’administration nazie, tel que le poste de Kreisleiter de Strasbourg. L’historien Bankwitz affirmera même qu’il a été, « parmi tous les dirigeants autonomistes, le seul et authentique nazi ».

4. Le développement de la communauté après 1870

Pendant la période de l'annexion allemande de 1871 à 1918, la présence d’une importante garnison militaire attire les migrants à Bitche. Suite au siège de la citadelle de 1870-1871 et au développement économique qui en résulte, on assiste à une forte immigration juive, dont la communauté développe le commerce local. Venue des villages de l'Alsace du nord et de l'Allemagne, et plus spécialement des villages de Wœrth, de Westhoffen, de Colmar, de Herrlisheim et de Diemeringen, cette nouvelle communauté développe le commerce par des magasins de vêtements, de tissus, de chaussures et aussi par le commerce du bétail. Elle se distinguera plus tard par des fonctions administratives dans la cité, telle que celle de juge de paix, belle élévation sociale. 

Durant cette période de l’annexion, une nouvelle séparation a lieu entre élèves, qui doivent choisir le 1er mai 1800 entre les écoles catholique – dirigée par les Schulbrüder ou Frères des Écoles Chrétiennes - et protestante. Les écoliers israélites de la ville ont quant à eux le choix entre les deux écoles confessionnelles. 

5. Les maisons juives de Bitche et Schorbach

Quelques maisons ayant appartenu à différentes familles juives de Bitche et des environs sont encore visibles aujourd’hui. Ainsi, la famille Hirsch, dernière famille de confession juive de la ville, toujours spécialisée dans la confection et la vente de vêtements, a emménagé à Bitche dans les années qui ont précédé la seconde guerre mondiale. Monsieur Constant Hirsch a fréquenté l’école primaire communale de Schorbach avant de suivre ses parents en ville. Leur ancienne maison, située dans le village de Schorbach, demeure intacte. 

La maison située au numéro 18 de la rue du Maréchal-Foch, occupée actuellement par un cabinet de kinésithérapie au rez-de-chaussée, a également été occupée par une famille juive au cours du passé. En effet, la façade de l’immeuble, datant très probablement du début du XIXe siècle, représente au niveau du 1er étage deux têtes d’animaux, celles d’un mouton et d’un bœuf. Cet attribut atypique s’explique par le fait que la famille installée dans cette maison vivait du commerce des bestiaux, profession très généralement attribuée aux Juifs. Ayant réussi leur ascension économique, ses habitants veulent manifester aux yeux de tous, la prospérité due à leur activité professionnelle.

L’imposante maison, située au numéro 17 de la rue de Sarreguemines, à proximité de la synagogue et occupée depuis peu par un atelier de sellerie, est une autre maison d’habitation juive très ancienne. Elle est occupée par l’importante famille Braun jusqu’au milieu des années 1970, date à laquelle Alex Braun, président de la communauté, part faire son Alyah en Israël avec toute sa famille. Cependant, aucune trace de Mezouzah n’est visible à proximité des portes de l’habitation.

6. La première puis la seconde synagogue

Une première synagogue est installée en appartement rue du Commandant-Teyssier. Il s’agit de la maison Meinke, devenue par la suite la mercerie Biache puis l’actuel salon de coiffure Vogt.

La synagogue actuelle, située rue de Sarreguemines, est une maison de particuliers. Propriété au début du XIXe siècle d’un officier de la forteresse, le capitaine Jean-Joseph de Lacrosse, elle est léguée successivement à sa femme de ménage, Marie Megel, originaire de Hanviller, puis au neveu de celle-ci, Balthazar Lehmann, facteur de son état. C’est à ce moment que la communauté israélite en fait l’acquisition, en 1884. Il s’agit d’une maison ordinaire, seule une inscription hébraïque au-dessus de la porte signalant au passant attentif sa fonction religieuse passée.

7. Déclin puis disparition de la communauté

En 1900, le recensement fait état de 3640 habitants pour la cité bitchoise, dont 68 Juifs. Gravement touché par le départ des Juifs allemands en 1918, la communauté ne se relèvera jamais tout à fait. En 1938, sachant très bien ce qui se déroule de l’autre côté de la frontière, toute proche, et peut-être pour conjurer le sort, la communauté entreprend une rénovation générale de la synagogue, nécessitant 25 000 francs. En 1939, la communauté, bien structurée, comprend vingt-cinq familles, un ministre-officiant et une synagogue vivante. La Shoah emportera trois familles, déportées ou tuées par les Nazis. Il s’agit des familles Wolff, Durlacher et Ephraïm.

Le dernier ‘Hazan avant la seconde guerre mondiale est Félix Wolff, né en 1877 à Hoenheim, dans le Bas-Rhin, qui exercera ses fonctions à Bitche de 1900 à 1939. Replié en Charente après l’exode, il est arrêté en juillet 1944 dans le Cher et assassiné par la Milice avec trente-huit coreligionnaires, dont toute sa famille, dans des circonstances épouvantables, à la ferme de Guerry. Son épouse, née Alphonsine Weill, décède également lors de ce massacre. La famille Durlacher doit perdre deux de ses membre, Henri et Arthur ; la famille Ephraïm, un homme, Félix. Une plaque commémorative est installée après-guerre dans la synagogue, portant l’inscription suivante : La communauté israélite de Bitche à la mémoire de ses martyrs victimes de la barbarie hitlérienne, suivie du nom des cinq victimes bitchoises. 

Les populations civiles de la ville de Bitche sont déplacées dans le département de la Charente-Inférieure. Peu de temps après l'arrivée des Allemands en Charente durant l'été 1940, il est signifié à la population réfugiée qu'il leur est permis de regagner leur ville. L'occupant nazi les y attend de pied ferme. L'accueil des réfugiés dans leur ville se fait donc dans une ambiance totalement nazifiée. Dès le 7 août 1940, le Gauleiter Bürckel a été nommé chef de l'Administration civile allemande en Lorraine, et c'est son organisation qui « accueille »  les rapatriés. La ville possède maintenant un Stadtkommissar, équivalent du maire, appelé Isemann et originaire de Pirmasens, secondé par un Premier Secrétaire et Orstgruppenleiter du nom de Irmschler, et d'une gendarmerie nazie sous les ordres d'un certain Franck. Toute cette organisation allemande est prête à mettre les habitants au pas. 

Cependant, cette administration par les autorités nazies ne semble pas avoir manifesté de sentiments particulièrement véhéments envers la communauté juive et son lieu de culte. En effet, d’autres synagogues des environs ont été détruites par l’occupant ; ainsi, la synagogue sarregueminoise toute proche est victime des hordes nazies et de leurs complices locaux, du 17 au 19 septembre 1940, qui réduisent le bâtiment en ruines, tout comme celle du village de Frauenberg la même année. Le bâtiment bitchois n’a fait pour sa part l’objet d’aucune dégradation gratuite.

Monsieur Constant Hirsch, dernier fidèle israélite à habiter Bitche, nous raconte une anecdote s’étant produite lors de la libération de la ville, le 16 mars 1945. L'offensive américaine vers Bitche a eu lieu le vendredi 15 mars et, à 13 heures, le village voisin de Reyersviller est repris et même dépassé par les hommes de la 5e division US. Les troupes allemandes, réalisant qu'il est inutile de résister, désertent la ville dans la soirée et c'est ainsi que la réduction totale de Bitche a lieu le 16 mars 1945. Le départ des troupes allemandes évite en fait à la ville une destruction totale puisque les troupes US sont déterminées à en finir. À 6 heures du matin, suivie de tout le bataillon, la compagnie E du 398e régiment d'infanterie US entre dans Bitche, où ne se trouve plus aucun Allemand. Au nord de la ville, une section américaine capture le chef du 2e bataillon du 255e régiment de Volksgrenadier, quatre officiers d'ordonnance et plus de soixante-dix sous-officiers et soldats. Un soldat américain prend alors l’initiative d’ordonner à l’un de ces captifs de repeindre l’inscription hébraïque surmontant le linteau de la porte de la synagogue – présenté sur la photographie ci-contre -, dont la peinture s’émiettait, tout comme aujourd’hui. Ironie du sort !

L’évolution démographique de l’après-guerre entraîne la diminution puis la quasi disparition de la population juive, qu’il s’agisse de départs pour raisons professionnelles, de décès ou encore de départs pour Israël. L’arrivée d’une famille d’Algérie, les Lévy-Chapira, demeure une exception, la communauté diminuant d’année en année. Jacques Braun, qui préside cette communauté pendant une trentaine d’années, meurt en 1972. Il est remplacé par Alex Braun, qui démissionne en 1976 pour faire son Alyah. Il restait à cette époque six familles, actuellement, il n’en subsiste plus que deux. Les deux derniers présidents sont Samuel Hirsch et Léon Moock. Depuis les années 1970, il n’y a plus Minyan (le quorum de dix personnes, nécessaire à la tenue d’un office religieux) et le bâtiment qui abritait la synagogue, épargné par l’occupant nazi et qui existe toujours, n’est plus utilisé pour le culte et désaffecté en 1970.

8. Bibliographie

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