Ossuaire de Schorbach
Le village de
Schorbach se situe à la
limite des
pays couvert et
découvert et à quelques
kilomètres
seulement au Nord-Ouest de la ville de
Bitche. Adoptant un plan inorganisé, le
village
occupe les versants d'un vallon très encaissé
arrosé par le
Schorbach, un affluent de la
Horn. Le patrimoine religieux du
village est très riche, puisqu'il possède
dans son cimetière le célèbre ossuaire du
XIIe siècle, ainsi que l'
église
Saint-Rémi consacrée à la même époque
et reconstruite en 1774, le presbytère,
une
grotte dédiée à Notre-Dame de Lourdes, une quinzaine de
croix de chemin et de
calvaires parsemant le ban communal et trois chapelles, disséminées autour
du village : la
chapelle Saint-Wendelin, la
chapelle Sainte-Thérèse et la
Felsenkapelle. Les trop nombreuses guerres fratricides ont elles aussi marqué le
paysage puisque, en bordure du chemin menant à Bitche par les hauteurs de la
Rosselle, se situe le
Bayerngrab,
rappellant la mort des soldats allemands lors du
siège de 1870.
Table des matières
I. Histoire
Plusieurs historiens
éminents se sont occupés de l'ossuaire de Schorbach. Nous
traduisons ici ce qu'en dit le plus récent d'entre eux, le
docteur Karl Pöhlmann : «
Le
plus ancien monument de l'époque architecturale romane, et aussi
le seul du Bliesgau qui nous soit resté dans son
intégrité, est l'ossuaire (charnier) près de
l'église paroissiale de Schorbach. C'est une construction
rectangulaire de 9,25 mètres de long, 5,40 mètres de
large et 2,70 mètres de haut. es entrées se trouvent dans
les murs même, situées sur les largeurs. Le frontispice
est formé de onze arcades reposant sur neuf colonnettes et un
pilier central. Ces colonnettes sont couronnées de chapiteaux
à dé. L'un d'eux a une forme différente des
autres, rappelant le chapiteau antique. Le tout donne l'impression d'un
cloître roman et fait supposer une origine analogue à
celle de l'abbaye proche de Sturzelbronn. L'origine de ce monument est
à dater de la seconde moitié du XIIe siècle,
lorsque les comtes d'Eberstein possédaient le patronat de
l'église » (
note num. 1). Le docteur Kraus le situe du temps de
Theotwin, cardinal qui consacra l'église paroissiale en 1143, ce
qui ferait supposer un motif commun à l'érection de
l'église et de l'ossuaire. Le même auteur signale le
pilier central et affirme qu'il est de date antérieure. Cette
affirmation nous étonne (
note num. 2).
La description la plus complète est faite par l'abbé
R.-S. Bour, professeur au Grand Séminaire de Metz (
note num. 3). Elle
complète celle que nous venons de donner sur les points suivants
: la grille qui protège les ossements a été
apposée en 1904 à l'initiative de la
Société d'Histoire et d'Archéologie. En 1905, on
pouvait encore distinguer des restes de fresques au-dessus des arcades
médianes et d'après les témoignages de ce temps,
elles auraient représenté la mort tenant la faux de sa
droite et le sablier de sa gauche (
note num. 4). Dans le coin supérieur
gauche se serait trouvé un cadran solaire, dont on distingue
encore les chiffres romains. On remarque surtout les deux têtes
grimaçantes dans la voussure des arcades de droite, dont
personne n'a encore, à ce jour, su dégager le sens.
L'abbé Bour signale encore des trous percés dans les
chapiteaux des colonnes, I, IV, V et VII. Il en ignore la estination.
Mais d'une enquête de l'abbé Schwartz, ancien curé
de Schorbach, il ressort qu'ils servaient à fixer une
protection en planches, que l'on pouvait relever et abaisser à
volonté. Selon le témoignage d'un autre curé de
Schorbach, l'abbé Tousch, ayant assisté à des
travaux de restauration, la fosse située à
l'intérieur du monument a une profondeur de trois mètres.
Cela fait que les ossements sont empilés sur une hauteur de cinq
mètres et ont un volmune de 104 mètres cubes (
note num. 5).
L'abbé Bour remarque encore que cet ossuaire et la tour de
l'
église Saint-Rémi présentent la même
technique architecturale, celle de l'école rhénane, et
qu'ils datent vraisemblablement de la même époque,
c'est-à-dire 1150. On ne peut guère douter de la
destination funéraire de cette construction. Mais étant
donné son originalité et la date de son érection,
il est permis de supposer que ce n'est pas un lieu de sépulture
ordinaire.
Le moîne R. Glabren, ayant vécu vers 1050, rapporte
qu'après une disette en 1035, les corps des défunts
étaient simplement jetés dans une fosse, soit
isolément soit par groupes. Nous ne pouvons guère
admettre que notre ossuaire soit un tel charnier : les soins
donnés à sa construction nous l'interdisent en effet. On
pourrait admettre que l'exiguïté du
cimetière,
entourant l'église et forcé de suivre la forme du plateau
où est posée l'édifice, au sommet d'un promontoire
rocheux, forçait la population à
déterrer ses morts après un certain laps de temps et de
leur donner une seconde sépulture, définitive, dans une
fosse qu'elle aurait cherché à protéger contre les
intempéries par une construction surélevée. Cette
hypothèse est d'autant plus admissible qu'à Schorbach en
particulier, jusque vers 1860, la translation des restes des
défunts de leur tombe à l'ossuaire
commun se faisait
selon un certain rite et en présence des familles. De
plus, le nombre de paroissiens a du être fort important,
car Schorbach était le siège d'une très
ancienne vaste
et paroisse jusqu'au début du XIXe siècle, quand la ville
voisine de
Bitche, jusqu'alors
annexe, deviendra paroisse autonome puis siège d'archiprêtré. Mais il va de soi
que ce motif n'est pas péremptoire non plus : le ban de
Schorbach est assez vaste et étendu pour que l'on puisse
trouver un endroit pouvant contenir toutes les tombes des
défunts.
Il nous semble que dans ces considérations, les auteurs n'aient
pas vu un point essentiel de la
vie religieuse du pays de Bitche :
l'existence du
Freudenberg, de ce
Montjoie situé
à proximité immédiate du village de Schorbach, sur
les hauteurs surplombant tout à la fois la localité et
celle voisine de
Bitche. Cette
présence suppose incontestablement celle d'une relique importante, et celle-ci
devait être abritée en un lieu sûr pour la vénération.
Déjà du temps des derniers Mérovingiens, «
il
était d'usage de réunir plusieurs sépultures dans
une même fosse ou dans un monument funéraire, et au besoin
de superposer les tombes » (
note num. 6). Les sépultures
près d'une relique de saint,
ad sanctos, répondaient au
désir des fidèles d'être ensevelis à
proximité d'un corps de saint homme (
note num. 7). Des monuments imités
des anciens mausolées et
martyria
autonomes sont ainsi édifiés au Moyen Âge aux abords des
églises et de préférence à leur chevet (
note num. 8).
Nous pensons trouver devant nous un de ces
martyria.
Les deux masques grimaçants entre les colonnettes de l'ossuaire
sont reproduits aux voussures des fenêtres du clocher et ce
reproductions, voulues et significatives sans aucun doute, appellent le
pélerin qui s'est arrêté au
Montjoie, au
Mons Gaudii du
Bitscherland. À une époque où la mort
faisait pleinement partie de la vie de toute la communauté et où les cimetières
n'étaient pas éloignés du centre du village vers les abords, ces ouvertures
permettaient, à ceux qui passaient autrefois, de voir les os entassés à
l'intérieur et de méditer sur le sens de la vie et de la mort, tout en priant
pour le repos des âmes des trépassés.
II. Édifice
Souvent daté dans les
notices historiques de l'époque romane, l'ossuaire n'est peut-être pas
antérieur au XVe siècle selon certains historiens. À la suite de restaurations au début
du XXe siècle, il a perdu le pan-de-bois de ses pignons, ainsi que
les demi-croupe de sa toiture à deux pans. De style roman, le
charmant petit édifice se présente comme un bâtiment allongé, couvert d'un toit
à deux versants. La façade antérieure est formée d'une suite de onze arcades en
plein cintre, dont les colonnes reposent sur un mur-bahut, un pilier à décor de
trilobes étant placé au centre. L'ossuaire abrite
encore, sur l'entrave de la cinquième colonne et sur la courbe concave du dernier
arc, deux visages grotesques représentant très vraisemblablement des têtes
de mort.
III. Notes et références
1. PÖHLMANN, p. 123.
2. KRAUS p. 920.
3. BOUR, 1905, p. 86.
4. Témoignages d'anciens habitants recueillis par l'abbé Schwartz et consignés dans l'Annuaire de la Société d'Histoire et d'Archéologie, comme note.
5. Témoignage consigné dans BOUR, Ibid., p. 86.
6. FOURNIER, 1966, p. 57.
7. Id., p. 59.
8. Id., p. 107.
IV. Annexes
- BOUR (Abbé R.-S.), Jahrbuch der Gesellschaft für lothringische Geschichte und Altertumskunde, II, 1905, p. 86.
- FOURNIER (Gabriel), Les Mérovingiens, Paris, Presses universitaires de France, collection « Que sais-je ? », 1966, p. 57.
- JACOPS
(Marie-France), GUILLAUME (Jacques), HEMMERT (Didier), Le Pays de Bitche
(Moselle), Metz, Éditions Serpenoise, 1990, p. 120-121.
- KRAUS (Docteur Franz-Xaver), Kunst und Wissenschaften in Elsass-Lothringen - Dritter Band, p. 920.
- LAUER (Auguste), Schorbach.
Hier-aujourd'hui-demain. 1143-1976, 1976, 145 p. ; 2e éd. Sarreguemines,
1978, 127 p.
- PÖHLMANN (Docteur Karl), Die älteste Geschichte des Bliesgaues, II, Verlag der Pfälzischen Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, Spire, p. 123.