I. Description
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II. Histoire | III. Notes et références |
IV. Annexes |
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Dix ans plus tôt, on ne parle pas de guerre internationale. Mais les conséquences de la 1re guerre mondiale n’en finissaient pas d‘empoisonner l’atmosphère en notre Alsace-Lorraine. Un lourd centralisme parisien avait voulu dès 1919 et encore en 1924 (Édouard Herriot et le Cartel des gauches) faire rentrer dans le rang ces provinces " trop allemandes " par la langue et par la culture, trop " peu laïques " quand en France de l’intérieur on vivait depuis 1905 sous le régime de séparation de l’Église et de l'État, alors qu'ici le catéchisme avait ici droit de cité dans les écoles publiques et que le Concordat maintenait prêtres et pasteurs parmi les fonctionnaires de l'État.
D’autres privilèges particularistes demeuraint intouchables dans le droit local. Patriotisme oui, disaient les élus d'Alsace-Moselle, et amour de la France, mais touche pas à mon statut local. Non au centralisme parisien, non au nivellement pur et simple. Il y eut entre autres l’affaire de l’école de Schweyen : " die Schulaffär ". Le jeune instituteur jurassien, Marcellin Lyet s'est conduit comme un anticlérical provocateur, déchaînant les foudres du curé Jean Sacksteder. Le 3 janvier 1922, des pères de famille avaient bousculé le maître dans l’exercice de ses fonctions, trois d’entre eux connurent la prison sarregueminoise, les autres durent s’acquitter d’une forte amende. Voir notre livre Schweyen, documents et témoignages n°1 (p. 50). La politique de l'État français était provocatrice quand elle nommait en nos terres de tradition, des jeunes instituteurs sans expérience et donc peu respectueux de notre sensibilité lorraine et de notre patrimoine religieux.
L’un des protagonistes les plus en vue dans cette affaire avait été le journaliste militant Jean Dumser, né à Rolbing en 1885. En 1919, il est rédacteur au Journal de Thionville, et trésorier du " Parti fédéraliste d’Alsace-Lorraine ". Renvoyé du journal par l’archiprêtre. Rédacteur en chef du " Courrier de la Sarre " à Sarreguemines autour de 1920. Révoqué par l’assemblée générale des actionnaires en mars 1921 et traité de " bochisant ". En novembre 1921, il est secrétaire de par l'Évêché de Metz du Lothringer Volksbund (Association des hommes catholiques de Lorraine). " Dans la semaine de Noël 1921 et le jour de l’An, j’organisai ", écrit-il, " dans 21 localités de l’arrondissement de Sarreguemines, des réunions à raison de 3 par jour, le matin à 10h, l’après-midi à 14h, le soir à 19h. Je fis à pied le trajet d’une localité à l’autre ». C’est là qu’il vient à Schweyen. La " Schulaffär " date du 3 janvier 1922.
Plus tard, Dumser dirigera en 1923-1924 l’imprimerie de l’abbé Goldschmitt à Sarralbe, au service du " Colportage catholique ". Puis entre 1925 et 1929 la société d’édition " Erwinia " à Strasbourg, maison-mère de plusieurs journaux autonomistes. Beaucoup d’argent venu d’Allemagne transite par ses mains, pour financer la presse du mouvement autonomiste. C’est du 7 janvier 1926 que date le Heimatbund, auquel adhèrent nombre de personnalités d’Alsace-Lorraine. Dumser est mis en cause par l'État français lors du second procès des autonomistes, en juin 1929 à Besançon.
3. La grotte de Rolbing inaugurée en 1927
Elle restait une énigme pour moi, cette grotte si agressivement politisée. L'année 1927, année de sa bénédiction ne se comprend que si l'on connaît le contexte que j'ai essayé succinctement de résumer à l'instant. Et puis Joseph Krebs de Rohrbach, qui l’érigea, avait une sœur, Anna, qui avait épousé à Rolbing Georges, le frère de Jean Dumser. Comment ne pas voir, derrière le symbolisme dont elle est porteuse et dont nous allons parler, les conseils avisés de l’ardent militant autonomiste dont nous venons de relater l'histoire, ou peut-être de l’influent curé Sacksteder de Schweyen, son confident, signataire du manifeste du Heimatbund, et qui avait eu à subir, quelques années auparavant, la dure épreuve de la fameuse " Schulaffär " ? Schweyen n'est qu'à 4 km de Rolbing. Joseph Krebs est par ailleurs le cousin de Victor Krebs, seul citoyen de Rohrbach à avoir signé le manifeste du Heimatbund.
C’est le 8 septembre 1927 qu’en grande pompe, Rolbing inaugura sa grotte. 2 000 fidèles du pays de Bitche, dit l'article de la " Lothringer Zeitung, la libre Lorraine " (édition du 14.09.1927), donnèrent à l’événement un grandiose éclat de ferveur populaire, et j'ose ajouter : ce fut aussi une manifestation voulue et explicite de puissante défense du droit local en nos provinces. Je vois une preuve irréfutable pour ce qui concerne le contenu politique de l’événement et du monument, dans ce même article intitulé " La bénédiction de la grotte de Lourdes, à Rolbing : une imposante fête en l’honneur de la Vierge Marie, au Pays de Bitche ". Extrait :
Traduction (libre) :
« Cette grotte est intéressante non seulement à cause de sa situation en surplomb, proéminente et de par son monumental aspect, mais aussi du fait de la finesse de son symbolisme, par lequel l’artiste a su faire figurer sur ce monument les adversaires de la chrétienté, qui sont aussi les adversaires de la mère de Dieu. Le faucon, aux aguets, qui s’est penché tout en haut de la grotte. Il symbolise la menace de ces apôtres de la laïcité, qui s’avancent masqués, l’œil sur nos enfants, pour les arracher à leur mère du ciel. Le renard, qui sournoisement rampe hors de son terrier, et qui paraît être tout à fait le représentant de ces habiles et trompeurs beaux-parleurs qui mettent notre pays en grand danger. Le lézard, grossi trois fois plus qu’il ne l’est en réalité, nous fait penser à ces parvenus du nouveau rationalisme, gonflés d’orgueil, qui sous des apparences bonhommes, prétendant ne pas chercher d’histoires, n’en partent pas moins en guerre contre l'Église. Le pire ennemi de la mère de Dieu, le serpent diabolique – symbole même de la perfide franc-maçonnerie – rampe aux pieds de l’Immaculée, et guette l’instant propice où il pourrait, par la mise en place des infâmes lois laïques, atteindre la mère de Dieu de sa mortelle morsure ... "
Gageons toutegois que le petit peuple catholique de chez nous se déplaça surtout pour exprimer sa profonde piété mariale, et ne comprit pas spontanément les imbrications polémiques qui s'étaient greffées sur son pélerinage. L'Église d'Alsace-Lorraine, et de France aussi, vivait certes en ces temps-là selon une idéologie de ghetto, se prémunissant comme elle le pouvait, des assauts du laïcisme et d'une République trop centralisatrice. Citadelle assiégée, elle appelait à la rescousse la Vierge Marie, et le Sacré-Cœur, et Jeanne d'Arc, et Saint-Louis. Le petit peuple avait du mal, de par lui-même, à aller au-delà de sa naturelle dévotion, jusqu'à adhérer au choc des idéologies.
Autre extrait du même article de journal (traduction libre) :
" La fête elle-même fut extraordinaire, inaugurée dès l’aube par des tirs de pétards (Bollerschiessen) et la sonnerie festive à toute volée... 400 communions furent distribuées lors de la messe matinale. Une vingtaine de prêtres autour de M. l’abbé Brabelet, de Bénestroff, chantèrent la messe solennelle... L’après-midi, les vêpres et le salut du Saint-Sacrement... Bénédiction de la grotte par l’archiprêtre Humbert de Volmunster...
On atteignit le sommet des festivités quand le crépuscule eut étendu son mystérieux voile sur le village, alors qu’un doux clair de lune donnait au paysage son relief de rêve : petits et grands encore une fois gagnèrent l’église. Après la litanie de la Vierge, une émouvante allocution du curé Muller de Breidenbach transporta en esprit la foule des fidèles jusqu’à Lourdes, réchauffant leur cœur d’un intense amour envers leur maman du Ciel. Les deux mille pélerins initièrent une longue procession aux flambeaux, qui serpenta par les rues de Rolbing, tournant et tournant à flanc de coteau. Ensorcelante clarté sur écran de nocturnes ténèbres. L’écho des Ave de Lourdes résonnait puissamment au fond des vallées du Pays de Bitche, et la statue de Marie brillait d’un magique éclat au sommet de la grotte, pendant qu’un grand feu d’artifices jetait couleurs et étincelles vers le ciel, telles autant d’invocations à Marie.
La participation, nombreuse et impressionnante, de la population du Pays de Bitche, aura été appréciée d’autant plus que les conditions de circulation, en ce Nord extrême de notre région, sont des plus archaïques (patriarchalisch). Et telle pauvre grand-mère, qui à son retour eut à trébucher en maint village perdu sur des obstacles dignes des temps immémoriaux (vorsündflutliche Verkehrshindernisse), suppliait en silence la Vierge, qu’elle daigne éclairer l’esprit et disposer le cœur de ces grands messieurs de Paris, qui eux ne voyagent jamais qu’en première classe, à bien vouloir que roule, en un avenir proche, un petit train enfin – comme avant guerre on en avait eu le projet – au travers de cette Suisse du Nord.
L’imposante fête de Rolbing avait prouvé que tous ceux qui, au Pays de Bitche, paient l’impôt, étaient des gens suffisamment civilisés pour pouvoir eux aussi supporter une telle intrusion chez eux de la modernité ».
Si je vous disais, tout-à-l'heure, que même sous prétexte de culte rendu à la Vierge, " la politique " n'est jamais très loin ! ...» (article de La Revue du Pays de Bitche, p. 61-64 : la numérotation des sous-titres n'est pas de l'auteur).